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jamais faite ou je ne m'en étais pas inquiété. Elle me frappa si fort que je faillis l'exprimer tout haut. Elle m'eût
sans doute échappé si je n'avais redouté son inconvenance. Un fils devait ressembler à son père: aucun doute
ne pouvait exister à ce sujet. Ou bien, alors, ce n'était pas la peine d'être le fils de quelqu'un. Et moi, à qui
donc ressemblais-je?...
LIVRE II
I. LES IMAGES
Ces événements, que je retrouve si frais dans mon imagination, flottèrent bientôt et même se perdirent
momentanément dans le cours de mes jours qui, pendant les vacances où nous entrions, se mit à couler à
pleins bords comme un beau fleuve.
Mon père, d'habitude, prenait ses vacances avec nous et en profitait pour se rapprocher de nous davantage.
Nous le vîmes beaucoup moins cette année-là et nous fûmes un peu sevrés des récits héroïques dont il nous
régalait dans nos promenades, et qui nous agitaient d'un furieux désir de livres des batailles et de remporter
des victoires: en l'écoutant, nous relevions la tête, nos yeux brillaient, nous marchions plus vite et d'un pas
cadencé. Pour faire face aux nouvelles charges qu'il avait acceptées, il avait renoncé à son repos annuel.
Parfois il s'emparait d'une après-midi et tâchait hâtivement de rétablir le contact avec nous. Ses malades le
venaient relancer à toute heure ou s'embusquaient sur son passage. Tout conspirait pour nous l'arracher.
Cependant on devinait que sa direction s'exerçait partout. La façade de la maison se lézardait: on y posa des
supports de fer avant de la recrépir. Les chambres furent retapissées, la mienne avec de plaisantes scènes de
chats et de chiens, et l'on changea les parquets dont les planches se disjoignaient. La cuisine même, pour
laquelle Mariette s'obstinait à réclamer depuis des années et des années, sans rien obtenir de grand-père qui
lui répondait invariablement par un vieux proverbe: A blanchir la tête d'un nègre on perd sa lessive, la cuisine
fut remise à neuf et pavée de monumentales briques rouges. La grille du portail qui ne fermait plus fut
réparée, et même il y eut une clé, et une clé qui tournait dans la serrure. Le tilleul dégagé permit au cadran
solaire de recommencer à marquer les heures. La brèche du mur par où les courtilières pénétraient, par où
j'avais vu, un soir fameux, nos ennemis s'introduire dans la place, reçut une balustrade qui s'encastra dans le
tronc du châtaignier. Et l'on vît ce qu'on n'avait jamais vu: les trois ouvriers à leur poste et, spectacle plus
merveilleux encore, travaillant tous les trois.
Peu à peu le jardin, mon vieux jardin, pareil à une forêt de mauvaise herbe où l'on n'avait jamais fini de
découvrir des arbres ou des plantes, tant ils étaient cachés, se transforma et s'ordonna. Les allées furent tracées
et sablées, les parterres dessinés et les rosiers taillés. Les arbres contenus versèrent une ombre régulière. Une
prairie inutile devint un verger. Au coeur d'une pelouse, un jet d'eau monta et, retombant en pluie fine, égrena
des notes claires sur le bassin. Il y eut des fleurs et des fruits à cueillir, des bouquets et du dessert. Cependant
nous n'osions plus tâter les poires ou les pêches, et moins encore imprimer à leur manche le léger mouvement
de bascule qui les détachait. Dans l'espace découvert, on se serait aperçu de notre larcin. Et je cherchais
vainement, pour les mettre en pièces, les taillis qui jadis foisonnaient au bord de la châtaigneraie. D'ailleurs
Tem Bossette refusait de me sculpter le moindre sabre de bois, et il veillait sur ses échalas comme s'il les avait
payés.
Ces changements ne se firent pas d'un seul coup, et je mêle sans nul doute leur chronologie. A peine les
remarque-t-on pendant qu'ils s'accomplissent lentement et progressivement, et, quand ils sont terminés, voilà
que déjà l'on ne se souvient plus de l'état des lieux qui les précéda. Ils ne s'accomplirent pas sans
perturbations. Tem s'épongeait sans cesse le front et suait tout son vin. Mimi Pachoux ne s'en allait plus: il
LIVRE II 38
La Maison
menait grand bruit pour attester la continuité de sa présence, et le Pendu penchait son triste profil dantesque
sur des besognes obscures et utiles. La communauté de leur sort n'avait pas réussi à les réconcilier. Ils
s'observaient et se surveillaient les uns les autres, mais tous trois observaient et surveillaient davantage encore
la maison. Que craignaient-ils d'en voir sortir? Je le compris un jour. Mon père, qui était devenu leur patron,
s'approchait d'un pas rapide. Il leur distribua de bonnes paroles d'encouragement, mais il examina leur
ouvrage en connaisseur.
Tout de même il s'y entend, confessa Mimi avec admiration.
Je sus par Tem qu'après les avoir sermonnés durement, il avait augmenté leur paie. Seulement il exigeait du
bon travail. D'un mot, il les ramenait à lui, s'ils renâclaient ou rechignaient devant la peine. Mais, sans doute,
il bouleversait toutes les vieilles habitudes d'un pays où l'on aimait à se laisser vivre et à baguenauder en
buvant du vin frais. C'est pourquoi Tem Bossette, principalement, regrettait l'ancien règne des rois fainéants
où il vivait, tranquille et oublié, dans sa vigne.
Il avait bien essayé, devant moi, d'apitoyer grand-père sur son sort:
Mon ami, lui fut-il répondu, je ne suis plus rien ici: adressez-vous ailleurs.
Jamais grand-père ne se montra aussi gai que depuis son abdication. Non, certes, il ne regrettait pas le
pouvoir et il ignorait volontairement tous les actes du nouveau régime. Parcourait-il le royaume? Il ne
semblait pas se douter qu'on y faisait fleurir les cailloux. Et puis, un jour qu'il se promenait au jardin, je le vis
qui se lissait la barbe et se grattait le sourcil, témoignage de mécontentement: il lança en signe de mépris un
jet de salive, et le rire impertinent accompagna ces paroles incompréhensibles pour moi:
Oh! oh! on met de l'ordre partout. Ce n'est pas un jardinier qu'il faudrait, mais un géomètre.
Que trouvait-il à blâmer? Les parterres, les arbres, obéissant à la main de l'homme, composaient un dessin
d'une riche ordonnance. Mes petites idées sur la vie s'y assemblaient et s'y disposaient avec plus de bonheur.
Et j'en voulais à grand-père de son manque d'enthousiasme.
Regardez, lui dis-je au hasard, ces beaux cannas rouges autour du bassin.
Mais il me prit le bras avec une rudesse inattendue.
Prends garde, mon petit, tu vas salir le gazon.
Je posais le pied, en effet, sur l'herbe qui bordait l'allée. Et je vis bien que grand-père se moquait de mon
admiration en même temps que du nouveau jardin. Je me rappelai l'ancien instantanément, sous l'influence de
cette ironie, l'ancien pareil à un fouillis sauvage, où je pouvais fouler jusqu'aux plates-bandes, où de rares
fleurs poussaient à la débandade, où j'avais connu l'ivresse de la liberté.
Devant mon père, jamais grand-père ne se fût permis cette critique. L'esprit attiré sur leurs dissemblances,
j'avais remarqué la gêne de leurs rapports. Toujours mon père faisait les avances. Il traitait grand-père avec [ Pobierz caÅ‚ość w formacie PDF ]
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jamais faite ou je ne m'en étais pas inquiété. Elle me frappa si fort que je faillis l'exprimer tout haut. Elle m'eût
sans doute échappé si je n'avais redouté son inconvenance. Un fils devait ressembler à son père: aucun doute
ne pouvait exister à ce sujet. Ou bien, alors, ce n'était pas la peine d'être le fils de quelqu'un. Et moi, à qui
donc ressemblais-je?...
LIVRE II
I. LES IMAGES
Ces événements, que je retrouve si frais dans mon imagination, flottèrent bientôt et même se perdirent
momentanément dans le cours de mes jours qui, pendant les vacances où nous entrions, se mit à couler à
pleins bords comme un beau fleuve.
Mon père, d'habitude, prenait ses vacances avec nous et en profitait pour se rapprocher de nous davantage.
Nous le vîmes beaucoup moins cette année-là et nous fûmes un peu sevrés des récits héroïques dont il nous
régalait dans nos promenades, et qui nous agitaient d'un furieux désir de livres des batailles et de remporter
des victoires: en l'écoutant, nous relevions la tête, nos yeux brillaient, nous marchions plus vite et d'un pas
cadencé. Pour faire face aux nouvelles charges qu'il avait acceptées, il avait renoncé à son repos annuel.
Parfois il s'emparait d'une après-midi et tâchait hâtivement de rétablir le contact avec nous. Ses malades le
venaient relancer à toute heure ou s'embusquaient sur son passage. Tout conspirait pour nous l'arracher.
Cependant on devinait que sa direction s'exerçait partout. La façade de la maison se lézardait: on y posa des
supports de fer avant de la recrépir. Les chambres furent retapissées, la mienne avec de plaisantes scènes de
chats et de chiens, et l'on changea les parquets dont les planches se disjoignaient. La cuisine même, pour
laquelle Mariette s'obstinait à réclamer depuis des années et des années, sans rien obtenir de grand-père qui
lui répondait invariablement par un vieux proverbe: A blanchir la tête d'un nègre on perd sa lessive, la cuisine
fut remise à neuf et pavée de monumentales briques rouges. La grille du portail qui ne fermait plus fut
réparée, et même il y eut une clé, et une clé qui tournait dans la serrure. Le tilleul dégagé permit au cadran
solaire de recommencer à marquer les heures. La brèche du mur par où les courtilières pénétraient, par où
j'avais vu, un soir fameux, nos ennemis s'introduire dans la place, reçut une balustrade qui s'encastra dans le
tronc du châtaignier. Et l'on vît ce qu'on n'avait jamais vu: les trois ouvriers à leur poste et, spectacle plus
merveilleux encore, travaillant tous les trois.
Peu à peu le jardin, mon vieux jardin, pareil à une forêt de mauvaise herbe où l'on n'avait jamais fini de
découvrir des arbres ou des plantes, tant ils étaient cachés, se transforma et s'ordonna. Les allées furent tracées
et sablées, les parterres dessinés et les rosiers taillés. Les arbres contenus versèrent une ombre régulière. Une
prairie inutile devint un verger. Au coeur d'une pelouse, un jet d'eau monta et, retombant en pluie fine, égrena
des notes claires sur le bassin. Il y eut des fleurs et des fruits à cueillir, des bouquets et du dessert. Cependant
nous n'osions plus tâter les poires ou les pêches, et moins encore imprimer à leur manche le léger mouvement
de bascule qui les détachait. Dans l'espace découvert, on se serait aperçu de notre larcin. Et je cherchais
vainement, pour les mettre en pièces, les taillis qui jadis foisonnaient au bord de la châtaigneraie. D'ailleurs
Tem Bossette refusait de me sculpter le moindre sabre de bois, et il veillait sur ses échalas comme s'il les avait
payés.
Ces changements ne se firent pas d'un seul coup, et je mêle sans nul doute leur chronologie. A peine les
remarque-t-on pendant qu'ils s'accomplissent lentement et progressivement, et, quand ils sont terminés, voilà
que déjà l'on ne se souvient plus de l'état des lieux qui les précéda. Ils ne s'accomplirent pas sans
perturbations. Tem s'épongeait sans cesse le front et suait tout son vin. Mimi Pachoux ne s'en allait plus: il
LIVRE II 38
La Maison
menait grand bruit pour attester la continuité de sa présence, et le Pendu penchait son triste profil dantesque
sur des besognes obscures et utiles. La communauté de leur sort n'avait pas réussi à les réconcilier. Ils
s'observaient et se surveillaient les uns les autres, mais tous trois observaient et surveillaient davantage encore
la maison. Que craignaient-ils d'en voir sortir? Je le compris un jour. Mon père, qui était devenu leur patron,
s'approchait d'un pas rapide. Il leur distribua de bonnes paroles d'encouragement, mais il examina leur
ouvrage en connaisseur.
Tout de même il s'y entend, confessa Mimi avec admiration.
Je sus par Tem qu'après les avoir sermonnés durement, il avait augmenté leur paie. Seulement il exigeait du
bon travail. D'un mot, il les ramenait à lui, s'ils renâclaient ou rechignaient devant la peine. Mais, sans doute,
il bouleversait toutes les vieilles habitudes d'un pays où l'on aimait à se laisser vivre et à baguenauder en
buvant du vin frais. C'est pourquoi Tem Bossette, principalement, regrettait l'ancien règne des rois fainéants
où il vivait, tranquille et oublié, dans sa vigne.
Il avait bien essayé, devant moi, d'apitoyer grand-père sur son sort:
Mon ami, lui fut-il répondu, je ne suis plus rien ici: adressez-vous ailleurs.
Jamais grand-père ne se montra aussi gai que depuis son abdication. Non, certes, il ne regrettait pas le
pouvoir et il ignorait volontairement tous les actes du nouveau régime. Parcourait-il le royaume? Il ne
semblait pas se douter qu'on y faisait fleurir les cailloux. Et puis, un jour qu'il se promenait au jardin, je le vis
qui se lissait la barbe et se grattait le sourcil, témoignage de mécontentement: il lança en signe de mépris un
jet de salive, et le rire impertinent accompagna ces paroles incompréhensibles pour moi:
Oh! oh! on met de l'ordre partout. Ce n'est pas un jardinier qu'il faudrait, mais un géomètre.
Que trouvait-il à blâmer? Les parterres, les arbres, obéissant à la main de l'homme, composaient un dessin
d'une riche ordonnance. Mes petites idées sur la vie s'y assemblaient et s'y disposaient avec plus de bonheur.
Et j'en voulais à grand-père de son manque d'enthousiasme.
Regardez, lui dis-je au hasard, ces beaux cannas rouges autour du bassin.
Mais il me prit le bras avec une rudesse inattendue.
Prends garde, mon petit, tu vas salir le gazon.
Je posais le pied, en effet, sur l'herbe qui bordait l'allée. Et je vis bien que grand-père se moquait de mon
admiration en même temps que du nouveau jardin. Je me rappelai l'ancien instantanément, sous l'influence de
cette ironie, l'ancien pareil à un fouillis sauvage, où je pouvais fouler jusqu'aux plates-bandes, où de rares
fleurs poussaient à la débandade, où j'avais connu l'ivresse de la liberté.
Devant mon père, jamais grand-père ne se fût permis cette critique. L'esprit attiré sur leurs dissemblances,
j'avais remarqué la gêne de leurs rapports. Toujours mon père faisait les avances. Il traitait grand-père avec [ Pobierz caÅ‚ość w formacie PDF ]